Ce 25 janvier, j’avais l’occasion d’interpeller le Ministre Bernard Clerfayt, en charge notamment de l’emploi et de la formation professionnelle concernant l’évaluation de la réforme des contrats dits « articles 60 » ainsi que de l’impact de ce dispositif sur les chercheurs d’emploi qui bénéficient du Revenu d’Intégration Sociale (RIS),
Voici mon intervention :
Le 1er janvier 2023 marque les trois ans de l’entrée en vigueur de la réforme du dispositif article 60. Je souhaite donc me saisir de cette occasion afin de vous interroger, une fois de plus, sur son avancement et les constats que vous avez déjà pu observer.
À l’occasion de la Déclaration de Politique Générale, le Gouvernement s’engageait à : «poursuivre les réformes initiées en matière d’aide à l’emploi […] pour les personnes sous statut dit « article 60 ». Ces réformes seront évaluées dans le courant de la législature. Le service LINK d’Actiris se verra renforcé pour améliorer encore les fins de parcours des personnes sous statut dit « article 60 » en vue de faciliter leur retour sur le marché de l’emploi».
Les contrats « article 60 », contrats de travail conclus entre le CPAS et les bénéficiaires, permettent, en effet, d’acquérir une expérience professionnelle. Cependant, ils ont parfois, comme simple vocation la récupération des droits au chômage ou le fait d’y accéder tout simplement. La dimension « formatrice » des contrats « article 60 » est donc malheureusement parfois négligée. Or, la réforme des contrats d’insertion a comme vocation de renforcer le volet qualitatif des dispositifs article 60, notamment, en ce qui concerne l’offre de formation. Ce que nous ne pouvons que saluer. Néanmoins, il ne faut pas oublier le caractère, malheureusement, précaire des contrats article 60. Les travailleurs ne sont pas certains de trouver un emploi durable après leur contrat d’insertion, le retour au chômage est de courte durée et à terme, ils se retrouvent, pour la plupart, de retour à la case de départ. Certes, il est primordial de soutenir la mise à l’emploi, mais, il est encore plus important de fournir des emplois de qualité ! Car la mise à l’emploi ne doit pas se faire au détriment de la durabilité et de la qualité de l’emploi. Les contrats d’insertion « article 60 » doivent mener à une véritable mise à l’emploi.En Commission des Affaires économiques et de l’Emploi de ce 25 janvier 2023, j’interrogeais le Ministre Bernard Clerfayt avec les questions suivantes :
Lorsque je vous ai interpelé il y a un an, sur ce même sujet , vous nous aviez informés qu’une évaluation ne serait pas faite avant 2022. Depuis lors, une évaluation a-t-elle été effectuée ? Si oui, par qui et quels en sont les résultats ?
Disposez-vous des chiffres relatives à la réinsertion professionnelle des bénéficiaires du RIS ayant travaillé sous contrat d’insertion « article 60 » ? Combien de personnes sont actuellement employées sous ces contrats ?
Lors de votre réponse à ma dernière demande d’explication sur ce sujet, vous aviez répondu que les personnes concernées par ce dispositif d’insertion, ne tiraient pas profit de cette période pour améliorer leurs qualifications professionnelles. Je vous demande alors ce qu’il est prévu pour les personnes sous contrat article 60 en termes de formation ? Des dispositifs de formations sont-ils mis en place pendant leur période d’emploi sous contrat « article 60 » pour accroître leurs qualifications ?
À l’occasion de l’étude et des discussions concernant la présentation budgétaire pour cette année 2023, nous observions une augmentation du budget alloué aux dispositifs de mise en œuvre des contrats d’insertion « article 60 ». Nous constations alors une augmentation de 28 % des subventions de fonctionnement accordées aux ASBL privées, « liées à l’ordonnance concernant l’économie sociale » ainsi qu’une augmentation de 58% du montant des subventions de fonctionnement accordées aux « ASBL des pouvoirs locaux liées ». Comment le budget alloué va-t-il être utilisé dans le cadre des contrats « article 60 » ? Quel sera le budget alloué au volet qualitatif de la réforme ?
Ainsi que la réponse du Ministre :
Il y a trois ans est entrée en vigueur la réforme des emplois d’insertion portée par mon prédécesseur, M. Gosuin, et votée à la fin de la législature précédente. Nous avons alors voulu privilégier la notion d’emplois d’insertion plutôt que de parler d’article 60.
Nous avions pour ambition d’accroître la reprise en emploi des personnes accompagnées par les CPAS. L’objectif était de faire en sorte que les CPAS atteignent un taux de 10 % pour cette catégorie de personnes qui, chaque année, sont prises en charge en vue d’améliorer leur insertion dans l’emploi.Une deuxième ambition forte était d’améliorer leurs conditions de rémunération, car chaque CPAS avait des politiques et des usages différents en la matière. La plupart des personnes concernées sont peu qualifiées et
étaient rémunérées selon différents barèmes. Nous avons voulu que toutes ces personnes perçoivent une rémunération de niveau D.Troisièmement, pour maintenir ces personnes dans l’emploi au-delà de cette période minimale pour couvrir leur droit au chômage, il fallait améliorer leur formation et faire en sorte qu’à la fin de la période d’accompagnement des emplois d’insertion, ces personnes possèdent de meilleures compétences, afin d’augmenter leurs chances de trouver un emploi ultérieurement. J’aimerais à ce sujet rappeler que le fait de retrouver pleinement les droits au chômage et à l’accompagnement y afférent – cet accompagnement est garanti par le CPAS – est déjà un élément positif, même s’il est insuffisant. Cette réforme portait donc de fortes ambitions. Toutefois, pour être franc, les chiffres ne sont pas à la hauteur de nos ambitions, tout simplement parce que l’entrée en vigueur de la réforme a coïncidé avec le début de la crise sanitaire, une crise qui a ralenti l’activité économique et la prise en emploi et qui a eu des répercussions sur le chômage et sur le nombre de cessations d’activité. Il est donc très compliqué d’estimer les causes de cet échec relatif. Est-il imputable uniquement à la crise sanitaire, à d’autres éléments du mécanisme ou à une combinaison de plusieurs facteurs ? Nous n’y voyons pas clair, de sorte que nous ignorons ce qu’il faut réformer exactement. Pour bien faire, il faudrait un diagnostic sérieux et pertinent.
Je suis en discussion avec les CPAS sur la question : les CPAS étant financés à concurrence de la réalisation de leurs objectifs, je devrais diminuer leur financement, mais ils demandent qu’il soit maintenu. Il y a donc un dialogue entre le ministre, qui veut faire appliquer les règles, les normes et les contrats, et les CPAS, qui restent nos partenaires et sur qui nous comptons pour mener avec succès cette politique d’insertion de publics très éloignés du marché de l’emploi.
C’est la Fédération des CPAS bruxellois qui mène à bien ce travail d’évaluation. Je lui ai demandé de me faire des propositions sur la base de son expérience et des retours du terrain. Certains CPAS obtiennent en effet de meilleurs résultats que d’autres. Il y a donc lieu de voir quelles stratégies ont le mieux fonctionné ou si certaines réalités socioéconomiques locales entraînent des différences. Autant d’éléments pertinents et nécessaires pour adapter le mécanisme de façon intelligente. L’ordonnance du 28 mars 2019 relative au dispositif d’insertion à l’emploi dans le cadre de l’article 60, § 7 que je mets en œuvre, prévoit l’élaboration d’un rapport annuel transmis au Parlement. Le rapport 2022 a été transmis au Parlement le 25 novembre dernier. Vous y retrouverez le détail des chiffres pour l’année 2021. En raison de la crise du Covid-19, les chiffres 2021 ne sont bons ni pour l’emploi en général, ni pour les emplois d’insertion.Le rapport 2023 donnera les chiffres pour l’année 2022, que nous collationnons actuellement auprès des CPAS. Je dispose déjà de quelques données non encore définitives, que nous n’avons pas encore insérées dans le rapport : pour 2022, le dispositif concerne 4.410 bénéficiaires. Pour le seul mois d’octobre – le dernier pour lequel je dispose de chiffres -, il concerne 2.358 personnes. Pour le détail statistique, nous pouvons attendre le rapport, ou vous pouvez poser une question écrite. Pour 2020, par contre, 41 % des bénéficiaires sortant du dispositif des emplois d’insertion ont décroché un travail dans l’année qui a suivi. Nous pouvons nous réjouir de ce pourcentage, mais aussi estimer qu’il est possible de l’améliorer et nous interroger sur la façon de l’améliorer en fonction du profil des personnes prises en charge, du profil de formation, des secteurs ou encore des partenaires qui embauchent sous contrat « article 60 ».
La réforme a bien instauré un plan d’acquisition des compétences, qui impose au partenaire prenant quelqu’un en emploi d’insertion de lui assurer une formation. En effet, cet emploi ne peut consister uniquement à effectuer des tâches simples, rapides et peu coûteuses : il faut que l’intéressé acquière des compétences. Ce plan reçoit un soutien financier de la Région de 3.000 euros maximum. En 2021, 1.587 plans d’acquisition de compétences ont été déclarés par l’ensemble des dix-neuf CPAS bruxellois pour 467 travailleurs, et ce, pour des formations très variées. Les 3.000 euros visent à payer l’entrée en formation des personnes qui, pendant une fraction du temps, ne travaillent pas chez le partenaire.
Ainsi, j’ai invité les CPAS à me faire des propositions d’amélioration pour dynamiser l’utilisation de la prime formation. Le catalogue des formations financiables pourrait ainsi être élargi en fonction des profils des personnes qu’ils sont amenés à traiter.Concernant l’augmentation des articles budgétaires inscrits au budget 2023, le budget régional alloué au financement des emplois d’insertion visés à l’article 60 reste stable et est seulement calculé sur la base :
– de l’occupation effective du nombre de postes. Comme les postes sont moins nombreux que prévu, il n’y a pas de raison d’augmenter le crédit budgétaire ; en effet, celui-ci ne sera pas dépensé tant que nous n’avons pas de proposition pour rendre cette politique plus efficace ;
– des préfigurations du service public de programmation Intégration sociale sur le nombre de personnes prises en charge par les CPAS. Il s’agit d’un budget global de 65,17 millions d’euros, dont 1,40 million d’euros pour la prime aux CPAS, puisque la Région intervient dans leurs frais administratifs à concurrence de 350 euros par emploi d’insertion. Sachant que la politique de l’emploi représente environ 1 milliard d’euros, ce budget de 65 millions d’euros pour la politique « article 60 » n’est pas négligeable.Le budget régional alloué au financement de l’encadrement des entreprises sociales d’insertion a été augmenté de 6 millions d’euros, tous types d’entreprises confondus, portant le budget 2023 à 20,30 millions d’euros. C’est un écosystème : ces entreprises, qui sont financées pour mettre à l’emploi des personnes éloignées du marché du travail et les former, sont souvent celles qui prennent en formation des travailleurs « article 60 » qui leur sont envoyés par les CPAS. Par ailleurs, les personnes concernées par l’article 60 ne représentent qu’une fraction du public des entreprises sociales d’insertion, qui emploient également des personnes provenant directement d’Actiris ou d’ailleurs.
En conclusion, même si les chiffres sur la mise à l’emploi d’insertion visé à l’article 60 n’atteignent pas encore les ambitions initiales, nous allons continuer à soutenir le développement des compétences de ces Bruxellois au regard d’un projet professionnel leur permettant de s’insérer durablement sur le marché du travail. Les dix-neuf CPAS et leur fédération travaillent de concert en vue de déterminer des points d’amélioration. J’attends d’être saisi de leurs travaux pour m’en emparer à mon tour et, le cas échéant, ajuster le cadre réglementaire. Même si je suis insatisfait des résultats observés, je reste profondément mobilisé par l’accroissement des compétences de ces publics-là afin d’augmenter leurs chances de trouver un emploi et de conserver un partenariat fort avec les CPAS, dont c’est la mission.
Ce fut donc l’occasion pour moi de rappeler la nécessité d’aborder le problème de façon structurelle, et cela se fait principalement au niveau fédéral, où la réforme fiscale et sociale est en cours. Toutefois le Ministre bruxellois dispose lui-aussi de moyens, d’un rôle à jouer, au niveau régional. Je l’encourage donc dans cette voie, celle notamment du rehaussement des rémunération au niveau D. Il nous faut rehausser les salaires de manière générale. Il n’est pas normal que des travailleurs qui se lèvent tôt ne perçoivent qu’unsalaire très bas, proche des allocations sociales. Il est donc impératif d’entamer une réflexion globale sur cette question des salaires.