Le 25 novembre 2022, en séance plénière, le MR a présenté sa proposition d’ordonnance « LIGNE » (Libertés Individuelles Garanties par la Neutralité de l’État), visant à assurer la neutralité et l’impartialité des agents des services publics de la Région de Bruxelles-Capitale et à interdire le port de signes convictionnels ostentatoires dans l’exercice de leurs fonctions.
Voici mon intervention en réponse à leur proposition d’ordonnance :
Chers collègues, laissez-moi vous dire que je suis fatiguée par ces débats stériles qui déchaînent les passions et polarisent le monde politique. Dans le cadre de la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, laissez-moi vous dire que, s’il y a bien une forme de violence insidieuse, c’est bien celle qui concerne l’interdiction faite aux femmes de porter librement un foulard. Car nous savons toutes et tous que c’est de cela dont il s’agit ici.
Cachez ce voile qu’on ne saurait voir ! Quand il s’agit porter un foulard et de travailler dans les coulisses, de nettoyer les toilettes, d’être dans un service d’appui (back office), cela ne pose pas de problème. Quelle hypocrisie ! Ce qui vous préoccupe, visiblement, ce sont les sorts des femmes musulmanes si fragiles, si fébriles, si soumises et si incapables de décider par elles-mêmes et pour elles-mêmes. En fait, dans une mission civilisatrice, vous songez à les éduquer, à les émanciper, à les libérer.
Ne nous libérez pas, on s’en charge ! La véritable émancipation des femmes, c’est le respect de leur libre arbitre. Oui, les femmes ont un libre arbitre, et elles ont également une capacité à disposer librement de leur corps. Voyez comme je vous parle librement, depuis cette enceinte démocratique ! Ai-je l’air d’une femme soumise ? Ai-je l’air d’une personne incapable de penser par elle-même et pour elle-même ?
Je ne suis pas un cas isolé. Beaucoup de femmes, en dehors du Parlement, travaillent dans des administrations publiques, depuis des années, sans que cela soit problématique. Voyez le nombre de femmes coiffées d’un foulard qui s’investissent dans des administrations publiques ! Il est vrai que toutes n’ont pas cette opportunité : d’aucunes continuent d’essuyer des refus d’embauche parce qu’elles n’ont pas la bonne apparence de neutralité.
La proposition d’ordonnance que nous examinons vise précisément à interdire aux agents de la fonction publique le port de signes convictionnels ostentatoires. En somme, cette prohibition contribuera à reléguer de nombreuses femmes dans la sphère privée. Est-ce ce projet de société que nous voulons, que vous voulez ? Est-ce le modèle d’émancipation que nous prônons ?
Avez-vous seulement une idée de l’impact de ces mesures de coercition sur la santé mentale de ces femmes, du poids de cette violence symbolique – pour reprendre le concept de Bourdieu – sur une partie de nos concitoyennes ? Vous n’imaginez pas non plus le risque de licenciement d’agents publics qui portent le foulard. Vous ne vous rendez pas compte des conséquences. Vous ne vous rendez pas compte de la menace sur le droit du travail. Pour un parti libéral, attaché au droit du travail, il y a lieu de relever cette incohérence manifeste.
Qui plus est, cela se passe dans un contexte inflationniste, où nous vivons des crises successives et des pénuries d’emploi. Les organismes publics peinent à recruter. Or, vous comme nous affichons l’ambition d’un taux d’emploi de 80 %. Comment alors y parvenir ? Cela doit aller de pair avec l’adoption d’une politique inclusive et émancipatrice. Nos administrations doivent refléter la sociologie de notre Région cosmopolite. Loin des considérations partisanes, les pouvoirs publics ont un devoir d’exemplarité.
Il est interpellant de constater que le MR, qui se targue de défendre les droits des femmes, s’en prend implicitement à ces dernières pour les invisibiliser et les exclure. Et que penser de la barbe des hommes ? Reflète-t-elle une dimension esthétique ou religieuse ? Vous conviendrez que c’est une question difficile à trancher.
Cela laisse à penser que la neutralité est un leurre. Nous sommes porteurs d‘identités multiples, d’expressions singulières, d’attitudes particulières, et le regard que nous portons sur les individus n’est jamais neutre.
Les signes convictionnels affichés par les agents ne montrent qu’un élément de leur vie privée. Ils ne disent pas tout de l’individu et de ses convictions. Qui plus est, ils ne constituent en aucun cas l’engagement favorable de l’organisme public pour cette conviction.
Vous l’aurez compris, les écologistes défendent et privilégient le principe d’impartialité, qui vise un traitement égalitaire par les agents de la fonction publique, quelles que soient leurs convictions religieuses, politiques ou philosophiques.
À vrai dire, la neutralité de l’État n’est pas une fin en soi. Il s’agit d’un instrument qui vise à garantir le respect de la liberté et la garantie de la légalité. Or, pour les écologistes, la liberté est la règle et l’interdiction l’exception, conformément à l’article 19 de la Constitution belge, qui garantit la liberté des cultes et de leur exercice public.
Il est donc surréaliste de devoir rappeler aux libéraux la nécessaire défense des libertés individuelles. Vous devriez peut-être vous inspirer du positionnement très inclusif de M. Hasquin.
En outre, le texte du MR soulève des questions sur le plan du respect des droits fondamentaux, à savoir le droit à la liberté, notamment religieuse, et le droit à la non-discrimination.
Les droits fondamentaux peuvent évidemment faire l’objet d’une restriction, moyennant des conditions strictes. Dans ce cas, l’interdiction doit être nécessaire et proportionnée à l’objectif visé.
Votre volonté d’interdire les signes convictionnels – ici le foulard – est-elle nécessaire et proportionnée à l’objectif visé, en l’occurrence la neutralité des services publics ? J’ai de bonnes raisons d’en douter.
J’ose espérer que l’intelligence collective l’emportera sur le voilement des esprits. J’ose espérer que notre attention sera portée sur les vrais enjeux de société plutôt que sur des débats stériles qui visent encore et toujours les femmes qui portent le foulard.