Le 26 octobre passé, j’ai eu l’occasion d’interroger le ministre Clerfayt concernant l’avancement de la modification de l’ordonnance dite « testing » visant à lutter contre les discriminations à l’embauche.
Dernièrement, le gouvernement bruxellois a approuvé en seconde lecture le projet d’ordonnance visant à renforcer les tests proactifs permettant de détecter les traitements différenciés et de lutter plus efficacement contre les discriminations à l’embauche.
En 2020, Actiris a enregistré 215 signalements de discrimination, dont 43 % concernent des critères dits « raciaux ». Nous avons en outre pris connaissance du dernier rapport d’Unia, qui nous apprend que quelque 10.000 signalements ont été enregistrés en 2021. La plupart concernent des discriminations sur la base de la prétendue race et touchent surtout au domaine de l’emploi. Il est important de signaler qu’il s’agit seulement de la partie visible de l’iceberg, puisque le phénomène de sous-rapportage doit être pris en considération.
Bientôt, des tests pourront être utilisés sur la base de signalements, de plaintes ou de soupçons suffisants, sans obtenir au préalable l’accord d’un magistrat, comme c’est le cas actuellement.
C’est une bonne nouvelle pour les victimes de discrimination ainsi que pour les secteurs concernés et les associations qui luttent contre le racisme. Il s’agit aussi d’une excellente nouvelle pour moi, qui n’ai eu de cesse d’interpeller le ministre Clerfayt depuis l’entame de la législature.
J’ai pu alors lui poser les questions suivantes :
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Quel est l’état d’avancement du projet de modification de l’ordonnance dite « testing » ?
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Outre le caractère proactif des tests de discrimination, il est prévu de renforcer la protection des inspecteurs régionaux qui réalisent ces tests et de développer la collaboration avec Actiris Inclusive. Pouvez-vous nous en dire davantage ?
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Dans quelle mesure avez-vous tenu compte des avis des partenaires sociaux consultés durant le processus de modification du texte législatif ?
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Quel est le calendrier de dépôt du projet d’ordonnance et de son examen en commission ? Cet objectif figure dans la déclaration de politique régionale, j’espère donc que l’examen du texte aboutira rapidement. Parallèlement, le plan de lutte contre le racisme de Mme Ben Hamou doit être présenté. Y a-t-il une volonté d’associer vos calendriers sur ces thématiques similaires ?
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Quel est le budget global estimé pour la mise en œuvre de ce projet d’ordonnance ? Des priorités sont-elles définies ? Si oui, lesquelles ?
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En matière de méthodologie, quels sont les indicateurs de réussite du projet d’ordonnance, les délais de sa réalisation ainsi que les critères d’évaluation tant qualitatifs que quantitatifs ?
La réponse du ministre :
L’avant-projet d’ordonnance qui modifie l’ordonnance dite « testing » a été approuvé par le gouvernement en seconde lecture le 15 septembre dernier. Dans la foulée, nous avons sollicité l’avis du Conseil d’État qui dispose de 30 jours pour le remettre, mais il nous est revenu avec plusieurs questions très pointues. La remise de son avis pourrait donc prendre plus de temps.
Outre une certaine proactivité, le projet d’ordonnance prévoit de développer la collaboration avec Actiris et d’accroître la protection des inspecteurs régionaux de l’emploi lorsqu’ils effectuent ces tests anonymes. Il s’agit donc de deux axes différents. Concernant la protection des inspecteurs, le paradigme est inversé pour les infractions commises par ces derniers lorsqu’ils réalisent des tests.
La version actuelle prévoit que les inspecteurs sont exemptés de peine ; c’est la clause absolutoire. Les modifications proposées visent à introduire une nouvelle forme de protection à leur égard, car ils ne se sentaient pas suffisamment protégés par le régime actuel. Il s’agit d’une clause légale de justification permettant d’éviter toute poursuite des inspecteurs pour les actes posés dans le cadre de la réalisation des tests. On demande en effet à un inspecteur de commettre un faux. Or, les faux en écriture constituent une infraction. Auparavant, on estimait que lorsqu’ils réalisaient ce faux, ils commettaient une infraction pour laquelle ils n’étaient pas poursuivis. Aujourd’hui, on affirme qu’ils ne sont pas poursuivis du tout.
La collaboration avec Actiris sera double. D’une part, Actiris devra transmettre l’ensemble des signalements reçus par son guichet antidiscrimination deux fois par mois, pour chaque cas présentant une présomption suffisante de discrimination et moyennant l’accord explicite de la victime, qu’elle veuille rester anonyme ou non.
D’autre part, Actiris transmettra, à la demande de la direction de l’inspection régionale de l’emploi et dans un délai de dix jours maximum, des curriculums vitæ anonymisés permettant aux inspecteurs de réaliser plus efficacement des tests de situation.
La grande majorité des propositions reprises dans les avis des partenaires sociaux et des différentes instances consultées ont été prises en considération. Ainsi, six avis ont été analysés et intégrés quand cela s’est avéré possible, à savoir ceux de Brupartners, Unia (partenaire de toujours dans ce sujet difficile), l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes, le Conseil bruxellois pour l’égalité entre les femmes et les hommes, le Conseil bruxellois de la personne handicapée et le comité de gestion d’Actiris. L’Autorité de protection des données a également été sollicitée. Cela représente un long travail de consultation qui a mis en évidence que les discriminations ne sont pas uniquement de nature raciste, mais portent aussi sur le handicap, l’âge, etc.
Le calendrier d’examen des dossiers au Parlement ne dépend pas de moi. En ce qui concerne le travail au gouvernement, j’espère pouvoir aboutir à une approbation en troisième et dernière lecture avant la fin de l’année, sous réserve des remarques formulées par le Conseil d’État. En effet, ayant travaillé aux confins de nos compétences, le Conseil d’État peut être tenté de pointer du doigt certains éléments de nature juridique. Le projet et l’ensemble des avis seront transmis au Parlement selon la procédure ad hoc, sans doute au début de l’année prochaine.
Plusieurs budgets ont été ou seront prévus pour la mise en œuvre de l’ordonnance. D’une part, un budget de 150.000 euros est prévu dès cette année pour l’organisation des études académiques permettant, le cas échéant, des tests proactifs dans des secteurs déterminés. Le marché est en cours d’attribution et j’espère pouvoir lancer les premiers tests cette année. Ces tests proactifs dans un secteur donné devraient aider à convaincre les juges d’y mener des actions spécifiques.
D’autre part, le gouvernement bruxellois a pris acte de la nécessité d’engager deux inspecteurs de niveau B et un agent administratif de niveau C pour la réalisation efficace des tests. Ces embauches font partie des projets d’adaptation des cadres du personnel.
Bien que nous connaissions tous le phénomène de sous-rapportage des discriminations, il ne me paraît pas opportun de fixer un nombre de tests à effectuer par an ou par trimestre. L’objectif est bien d’augmenter le nombre de signalements reçus, et donc d’augmenter le nombre de tests à réaliser par la direction de l’inspection régionale de l’emploi, mais ce nombre dépendra de la nature des informations transmises. En revanche, il sera de notre devoir, en tant que service public, d’effectuer l’ensemble des tâches que le Parlement confiera à l’administration.
Après le vote de l’ordonnance, un premier indicateur sera l’augmentation du nombre de signalements, notamment sur la base de la collaboration entre la direction de l’inspection régionale de l’emploi et Actiris. Un deuxième indicateur sera l’envoi, à temps, des deux salves mensuelles de signalements par Actiris vers la direction de l’inspection. Un troisième indicateur sera l’attribution d’une étude académique par l’administration et la réalisation des tests sectoriels en découlant, en fonction des résultats indiquant l’ampleur des discriminations dans le secteur testé et de l’avis de Brupartners. Nous verrons ensuite comment mieux déterminer et mesurer les cas de discriminations, secteur par secteur.
En conclusion :
Je salue la volonté de monsieur le ministre de mettre en place des tests plus proactifs et, surtout, d’intégrer, dans cette modification, les six avis des protagonistes.
Je me réjouis de l’engagement de deux inspecteurs. J’ai toutefois signaler à monsieur Clerfayt qu’il fallait veiller à les former correctement et à les sensibiliser à la lutte contre toutes les formes de discrimination, car il s’agit tout de même d’une matière très délicate. Les signalements repris dans les rapports d’Actiris et d’Unia augmentent et visent principalement des discriminations à caractère racial, mais je ne nie évidemment pas l’existence d’autres formes de discrimination, comme celles liées au handicap.
Bien que le texte n’ait pas encore été voté, je prends note des 150.000 euros alloués à l’organisation des tests proactifs. Un montant qui reste néanmoins, insuffisant.