Voici ma question adressée au Ministre Maron :
La précarité énergétique est un sujet qui nous préoccupe depuis plusieurs semaines. Je pense notamment aux aides octroyées par les CPAS à certains ménages bruxellois. En Région bruxelloise, plus d’un ménage sur quatre est officiellement concerné par la précarité énergétique, qui désigne le fait de ne pas pouvoir accéder à suffisamment d’énergie pour un coût abordable au regard de ses revenus. Le ménage concerné ne peut consommer de l’énergie en suffisance et privilégie d’autres formes de consommation qu’il juge prioritaires. En 2021, le prix du gaz a enregistré une hausse de 47 % entre les mois de juillet et de décembre. Pour l’électricité, sur cette même période, la hausse était de 27 %.
Si elle est parfois mesurée, la précarité énergétique demeure difficile à chiffrer. Il existe une précarité énergétique « cachée », vraisemblablement plus grande à Bruxelles. En 2019, on estimait que 10,5 % des ménages bruxellois souffraient de la précarité énergétique tout en la dissimulant, contre 4,2 % à l’échelle nationale. Ces ménages ont du mal à reconnaître la précarité de leur situation. Il apparaît comme évident que de nombreux Bruxellois peinent à subvenir à leurs besoins énergétiques. Ces personnes se mettent alors en danger sur les plans économique et de la santé.
M. le membre du Collège réuni, nous vous savons sensible aux questions d’inégalités sociales. C’est d’ailleurs l’un des enjeux majeurs de la déclaration de politique générale.
Joindre l’acte à la parole, c’est aussi cette subvention supplémentaire de vingt millions d’euros accordée aux CPAS bruxellois, dont dix millions servent et serviront à accompagner et aider les ménages bruxellois qui font face à la précarité énergétique. Comment cette enveloppe de dix millions d’euros est-elle distribuée et ventilée entre les dix-neuf CPAS ? Combien de ménages sont-ils susceptibles de solliciter l’intervention des CPAS pour s’acquitter de leur facture de gaz et d’électricité ? Combien de demandes ont-elles déjà été introduites ? Quels sont les critères d’octroi ? Qui peut y prétendre ? Pour quelle période ? Comment sont informés les potentiels demandeurs ? Existe-t-il une harmonisation des procédures et des conditions d’octroi de cette aide complémentaire au sein des CPAS, ou les pratiques sont-elles disparates ? Les services de médiation de dettes des CPAS sont saisis d’une hausse des demandes d’aide pour les factures de gaz et d’électricité impayées. Comment y répondent-ils ? Dans quels délais ? Des équivalents temps plein supplémentaires sont-ils assurés
pour renforcer les équipes d’assistants sociaux qui travaillent actuellement à flux tendu ? Qu’en est-il des politiques et des mesures de prévention pour prévenir la précarité énergétique ?
Quelles sont-elles ? Discutez-vous avec vos homologues du niveau fédéral pour trouver des solutions structurelles à la hausse des prix de l’énergie et à ses conséquences sur les personnes vulnérables ? Dans l’affirmative, que résulte-t-il de ces discussions ?
Voici sa réponse :
La situation sur les marchés européens et mondiaux entraîne une hausse exceptionnelle des prix de l’énergie partout en Europe, même si les conditions régulatoires peuvent être quelque peu différentes d’un pays à l’autre.
Cette hausse résulte d’un ensemble de facteurs conjoncturels, notamment l’augmentation de la demande en énergie à la suite de la reprise des activités économiques après la crise sanitaire – comme en Chine par exemple -, les tensions géopolitiques avec la Russie et l’Ukraine, la hausse du prix des droits d’émission de CO2, ainsi que la faiblesse des réserves européennes en gaz. Cette situation illustre aussi une forme de faillite du concept de libéralisation du marché de l’énergie. En effet, il n’existe pas de réserve stratégique nationale et les entreprises ne sont soumises à aucune obligation de réserve ou de stock. Elles achètent leur gaz et leur électricité à flux tendu, à tout moment. La volatilité est donc très élevée. S’il est difficile de prévoir l’évolution des prix, les contrats à terme qui s’échangent actuellement nous permettent d’appréhender les anticipations des acteurs, avec une baisse possible du prix au printemps prochain. Toutefois, les prix resteront à des niveaux assez élevés, en tout état de cause plus élevés qu’il y a un an. Il est difficile de prévoir ce qui se passera à plus long terme. L’impact de cette hausse généralisée des prix de l’énergie sur la facture des ménages varie en fonction du contrat de base. Ceux qui ont accès au tarif social ne subissent pas une hausse importante. En étendant ce dispositif aux bénéficiaires de l’intervention majorée jusqu’au 30 juin 2022, le gouvernement fédéral a permis à 27 % des ménages bruxellois d’y accéder. C’est une mesure importante, dont l’impact est particulièrement positif. Par ailleurs, les ménages ayant un contrat fixe ne subissent pas directement l’effet de cette hausse, d’autant que les ordonnances bruxelloises garantissent à ceux-ci une durée minimale de trois ans. Or, plus de 60 % des ménages bruxellois bénéficient de contrats fixes. C’est cependant une forme de protection temporaire, car les ménages en fin de contrat sont concernés à court terme par la hausse des prix. Pour les contrats variables, mais également pour les contrats fixes conclus depuis le mois d’août 2021, l’impact sur les factures est important et direct. Il nous rappelle combien les contrats de trois ans, contre lesquels certains militent, sont essentiels ; s’ils n’existaient pas, la situation serait bien plus catastrophique.
Il est utile de rappeler que la politique des prix de l’énergie, à l’exception des tarifs de distribution – qui représentent une part minoritaire dans la facture -, relève des compétences fédérales, de même que le droit de la concurrence, le droit des pratiques commerciales, la lutte contre les prix abusifs et la constitution du tarif social.
Les Régions sont compétentes en matière de distribution de l’énergie, y compris concernant les tarifs des réseaux de distribution. Toutefois, ceux-ci sont contrôlés et approuvés par le régulateur, qui dispose d’une compétence exclusive en la matière. Par conséquent, le gouvernement ne peut pas décider d’autorité de diminuer un tarif de distribution.
Par ailleurs, contrairement à la TVA, les tarifs de distribution ne sont pas corrélés au prix de l’énergie. En janvier 2021, la part des frais de distribution représentait 17 % des factures d’électricité des ménages et 9 % des factures de gaz. Autant dire que, même si ces frais étaient réduits, cela n’influencerait qu’une partie des factures des ménages. Sachez également qu’en Région bruxelloise, ces tarifs sont moins élevés qu’en Flandre et en Wallonie. En ce qui concerne le mode de calcul des tarifs de distribution, ceux-ci sont régis par un cadre réglementaire très strict fondé sur des ordonnances et déterminé sous la houlette de Bruxelles Gaz électricité en lien avec Sibelga. Le gouvernement régional ne peut donc en aucun cas décider unilatéralement de réduire ces parts.
D’autant que ce que vous appelez des taxes, ce sont en réalité des montants qui couvrent des frais réels de distribution de l’énergie, de construction et d’entretien d’un réseau. Il faut aussi provisionner de l’argent pour l’avenir, car il faudra investir davantage dans les réseaux de gaz et d’électricité. Sibelga devra disposer des moyens pour investir encore plus dans les réseaux d’électricité, mais aussi progressivement débrancher les réseaux de gaz et assurer la transition énergétique. Ces voies ont donc été explorées, mais elles ne sont que peu ou pas praticables, et dans tous les cas, ne pourraient pas être suivies par le gouvernement seul. Le gouvernement flamand a décidé d’un chèque de réduction de 50 euros. Si nous faisions la même chose à Bruxelles, de manière ponctuelle, cela coûterait environ 30 millions d’euros, tandis que 50 euros ne représentent quasiment rien au regard de l’explosion des tarifs de l’énergie. Par ailleurs, un certain nombre de ménages – bénéficiaires d’un tarif social ou d’un contrat fixe – ne sont pas affectés par la hausse des prix. Dès lors, nous considérons des mesures comme celle- là inutiles : elles ont peu d’impact social et offrent peu d’aide réelle aux ménages, mais représentent un coût important pour les pouvoirs publics, financé par les impôts des Bruxellois et les autres systèmes de redistribution internes en Belgique. En ce qui concerne les CPAS, il est important de rappeler que ces derniers disposent de cellules énergie afin d’accompagner et, le cas échéant, de prendre en charge les factures d’énergie en tout ou en partie dans le cas d’une demande sociale.
Grâce aux 30 millions d’euros accordés en 2020-2021, nous avons financé le renforcement de ces cellules les années précédentes. Les CPAS bruxellois reçoivent chaque année du gouvernement fédéral un budget provenant du fonds gaz électricité afin de faire face aux demandes d’aide spécifiques des ménages bruxellois les plus vulnérables face aux dépenses énergétiques. En 2021, les dix-neuf CPAS ont reçu un total de plus de neuf millions d’euros provenant de ce fonds. En 2022, l’augmentation unique du fonds gaz électricité a été approuvée dans le cadre de la loi du 15 décembre 2021 portant des mesures en vue de la hausse des prix de l’énergie. Les CPAS bruxellois ont ainsi reçu une augmentation de 4,3 millions d’euros. Ce budget doit être affecté de la manière suivante :
– 50 % pour l’octroi d’une aide sociale financière pour l’apurement des factures ;
– 50 % pour prendre des mesures dans le cadre d’une politique sociale préventive en matière d’énergie.
Au niveau régional, Bruxelles Environnement octroie une subvention annuelle de 1,3 million d’euros aux CPAS pour leurs missions énergie. Ce financement résulte des dispositions légales des ordonnances de juillet 2001 et d’avril 2004 relatives aux marchés de l’électricité et du gaz, qui confient une série de missions de service public aux CPAS.
Parmi ces missions figurent l’accompagnement ainsi que la guidance sociale et budgétaire des personnes qui ont notamment des difficultés à payer leur facture de gaz et d’électricité. Les CPAS peuvent, dans ce cadre, exercer leur mission d’aide financière pour ce type de dépense, négocier des plans de paiement ou mettre en place une guidance budgétaire. Par ailleurs, ils sont en charge des services de médiation de dettes publiques et privées et financés par la Cocom à cette fin. Les CPAS bruxellois ont obtenu dix millions d’euros supplémentaires dans le cadre du budget 2022 de la Cocom pour faire face aux besoins sociaux découlant de l’accroissement des prix de l’énergie. Ce budget sera distribué en fonction de la clef de la dotation générale aux communes et sera affecté de la manière suivante :
– au moins 50 % en aides complémentaires à destination des personnes qui sont dans un seuil de revenu entre 0 et 125 % du revenu d’intégration sociale ;
– maximum 50 % en renforcement des équipes afin de répondre aux besoins sociaux exceptionnels découlant de l’accroissement des charges financières pesant sur les ménages, particulièrement en lien avec l’augmentation forte des prix de l’énergie. Cela peut concerner les services de médiation de dettes et les cellules énergie des CPAS.
Des arrêtés sont en cours de rédaction, qui préciseront la manière dont ces montants devront être utilisés. Ils devraient être approuvés par le gouvernement dans les prochaines semaines.
Le gouvernement examine l’éventualité d’une augmentation des moyens dévolus aux CPAS et de nouvelles aides complémentaires, destinées notamment à un public dont les revenus sont supérieurs à 125 % du revenu d’intégration sociale. J’ai défendu plusieurs propositions au sein du gouvernement pour pousser cette logique plus avant, et j’espère que nous aboutirons rapidement à l’adoption de mesures de soutien complémentaires. Par rapport au nombre de personnes aidées, les CPAS constatent une augmentation globale de 25 % à 30 % des demandes d’aides énergie en 2021, en provenance de publics nouveaux pour les CPAS. Selon les estimations, ce type de demandes devrait enregistrer une nouvelle augmentation en 2022.
À ma demande, un groupe de travail a été mobilisé en janvier 2022 afin d’assurer un suivi de la situation et de proposer des actions complémentaires. Ce groupe de travail réunit Sibelga, Brugel, Bruxelles Environnement, les fournisseurs, la Fédération des CPAS bruxellois, Infor Gaz Elec et le centre d’appui social énergie de la Fédération des services sociaux.
Nous suivons la situation en permanence. Il est probable et souhaitable que de nouvelles mesures soient prises par le gouvernement dans les prochaines semaines. Le cas échéant, vous serez bien entendu tenus au courant.
Retrouvez le compte-rendu intégral des échanges ci-dessous :
http://weblex.irisnet.be/data/arccc/biq/2021-22/00009/images.pdf#page=47