Voici ma question adressée au Ministre sur le sujet ;
La commission de la santé et de l’aide aux personnes du Parlement bruxellois a récemment auditionné la Fédération des maisons d’accueil et des services d’aide aux sans-abri ainsi que l’asbl L’Îlot, au sujet de leurs études respectives concernant la situation des femmes sans abri. Le constat est sans équivoque : les femmes sont globalement plus touchées par la pauvreté. Certes, les causes sont multiples, mais force est de constater que les femmes cumulent les vulnérabilités, notamment les violences conjugales et des revenus plus faibles.
Autant de pluralités de situations et de parcours qui appellent une multiplication de solutions, comme le démontrent les dispositifs en place : l’hébergement d’urgence, les maisons d’accueil, l’accueil de jour, la guidance à domicile, le projet Housing First et le travail de rue.
Cependant, quand on creuse la question spécifique du dénombrement des femmes sans abri, on observe – tout comme le secteur d’ailleurs – un sous-rapportage du sans-abrisme au féminin, car il existe un sans-abrisme « caché » que, par conséquent, on ne dénombre pas.
En effet, les femmes sont hébergées plus souvent que les hommes dans des logements précaires et inadéquats. Elles recourent à des mécanismes informels plutôt que de solliciter une aide sociale et, de manière générale, elles se rendent moins souvent dans les centres de jour que les hommes.
L’outil qu’utilise Bruss’help pour réaliser un dénombrement tous les deux ans est intéressant, à plusieurs égards, s’agissant du sans- abrisme au féminin. Bien qu’il ne rende pas compte de l’ampleur réelle du sans-abrisme caché, il permet de souligner que le public féminin, estimé à 20 % des personnes dénombrées, connaît une diminution dans l’espace public.A contrario, le nombre de femmes est en augmentation dans les centres d’hébergement mis en place pendant la pandémie de Covid-19 (tels que les hôtels, par exemple). L’Association des maisons d’accueil et des services d’aide aux sans-abri constate également que la proportion de femmes est en hausse dans les structures qui les accueillent à plus long terme.
Dans sa présentation, L’Îlot a annoncé l’ouverture prochaine d’un centre de jour pour femmes, un dispositif qui semble être une réponse spécifique et complémentaire aux constats et aux écueils présentés par les deux associations précitées. On sait que, pour une femme, vivre en rue, c’est prendre le risque de subir des viols et des agressions. Or, ces violences courantes conditionnent la manière de vivre en rue et incitent à déployer des stratégies d’évitement, d’invisibilisation et de survie. Dès lors, le projet de L’Îlot de créer un centre de jour pour femmes est indispensable afin de prévenir de telles situations d’insécurité.
Faisant suite aux recommandations de ces deux associations expertes, j’aimerais savoir si une réflexion est en cours en vue d’améliorer la méthodologie du dénombrement de Bruss’help, en
particulier pour mieux répondre au problème du sans-abrisme « caché ».
Partagez-vous l’idée d’organiser, avec des associations spécialisées, une formation spécifique pour le secteur afin de croiser les problématiques du sans-abrisme, de la grande précarité, de la dimension de genre, des violences faites aux femmes et de la transidentité ?
Qu’avez-vous mis en place pour lutter concrètement contre les violences intrafamiliales, qui conduisent nombre de femmes à la rue et, par conséquent, en maison d’accueil ? Je pense, notamment, à votre collaboration avec Mme Ben Hamou, secrétaire d’État chargée du logement.
Quel est votre avis sur les initiatives en non-mixité ? Comptez- vous encourager et renforcer ce type d’outil ? Existe-t-il un centre de nuit réservé aux femmes ? Dans le cas contraire, est-il possible financièrement et matériellement d’en créer un ? Enfin, êtes-vous favorable à la création d’un dispositif d’accueil de jour, à bas seuil, pour femmes ? Dans l’affirmative, comment soutenez-vous concrètement cette initiative ?
Voici les réponses du Ministre :
La méthodologie utilisée par Bruss’help pour mener le dénombrement ne permet pas de couvrir, à l’heure actuelle, l’ensemble des situations d’exclusion liées au logement.
Les personnes qui ne peuvent quitter une institution médicale faute d’hébergement, celles menacées d’expulsion ou victimes de violences domestiques, ainsi que l’ensemble des personnes vivant dans des logements surpeuplés constituent des angles morts qui demandent d’améliorer la collecte des données.
Ce sans-abrisme caché, à savoir la situation des personnes dont la seule option est d’être hébergées par leur famille ou chez des amis, qui correspond à la catégorie 8 de la typologie européenne de l’exclusion liée au logement (European Typology on Homelessness and housing exclusion, Ethos), n’est que partiellement appréhendé. L’objectif de Bruss’help est de faire évoluer progressivement le dénombrement pour mieux prendre en compte l’ensemble de ces situations. Pour y parvenir, il convient de trouver un ou plusieurs procédés pouvant compléter les techniques déjà employées, ces dernières permettant d’assurer une continuité avec le comptage nocturne et la collecte des données issues des structures d’accueil et d’hébergement des précédentes éditions du dénombrement. Dans le cadre du dénombrement 2022, une enquête expérimentale auprès des bénéficiaires des CPAS bruxellois sera programmée, qui partira de la méthodologie employée pour mener les dénombrements en Flandre et en Wallonie en 2020.
La technique consistera à solliciter la participation des travailleurs des CPAS, afin qu’ils soumettent des questionnaires détaillés à leurs usagers permettant de cerner leur parcours et leur profil sociodémographique. Au regard des difficultés que risque de soulever la mobilisation de l’ensemble des CPAS de la Région bruxelloise, une phase de test sera lancée dans un premier temps avec deux ou trois d’entre eux. Concernant les formations spécifiques des acteurs du secteur, il est utile et nécessaire de permettre aux membres du personnel des opérateurs d’appréhender les problématiques spécifiques auxquelles sont confrontées les femmes ou les personnes transgenres sans abri.
Des formations de ce type existent, notamment celles organisées par les fédérations, auxquelles participent de nombreux travailleurs et travailleuses. Je tenterai toutefois de mener
une réflexion pour examiner comment soutenir davantage ces formations et échanges de pratiques. Des politiques de prévention et de prise en charge des femmes victimes de violence sont menées avec mes collègues Mmes Barbara Trachte et Nawal Ben Hamou, ainsi qu’avec la secrétaire d’État fédérale Mme Sarah Schlitz, notamment au travers des trois plans de lutte contre les violences intrafamiliales. Une série de mesures vise non seulement à mieux appréhender les mécanismes de la violence envers les femmes, mais également à travailler dès le plus jeune âge à la déconstruction des stéréotypes de genre, qui peuvent aussi mener au sexisme voire à la violence psychologique, physique ou sexuelle. Je pense notamment à la généralisation de l’éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle à l’école. Ce levier important de prévention est soutenu par les gouvernements respectifs.
Par ailleurs, nous avons, en 2021, augmenté la capacité d’accueil de 45 lits pour les familles monoparentales, dont une immense majorité de femmes seules avec enfants, notamment victimes de violences. Le Centre de prévention des violences conjugales et familiales dispose également de sept lits supplémentaires depuis décembre 2021. Dans le cadre des dispositifs déployés dans des hôtels à la faveur de la crise sanitaire, la Cocom finance une capacité d’accueil de 30 mamans femmes seules avec enfant. Enfin, une maison d’accueil verra le jour en juillet 2022 et hébergera dix-neuf femmes victimes de violence et accompagnées d’enfants. L’asbl Talita, sélectionnée à la suite d’un appel à projets, en sera l’opérateur. Je suis tout à fait favorable aux lieux d’hébergement ou d’accueil de jour non mixtes, dès lors qu’ils permettent aux femmes d’une part de disposer d’un espace sécurisé et, d’autre part, de voir leurs besoins spécifiques pris en considération. Dans cette logique, je lancerai dans les semaines à venir un appel à projets visant la création d’un centre d’accueil de jour destiné exclusivement aux femmes. L’objectif est que ce nouveau centre dispose à terme d’un agrément permettant de contribuer à sa pérennité et à la qualité de ses missions. L’appel à projets en cours de rédaction prendra bien évidemment en considération les recommandations des études qui ont été menées sur le sujet.
Vous le savez, le New Samusocial dispose à présent d’une capacité d’accueil strictement réservée aux femmes. En outre, ces dernières sont également accueillies dans les capacités d’accueil
mixtes, qui possèdent des dispositifs pour assurer leur sécurité ainsi que leur bien-être et répondre à leurs besoins spécifiques.
Retrouvez les comptes-rendus intégraux de nos échanges ci-dessous :
http://weblex.irisnet.be/data/arccc/biq/2021-22/00009/images.pdf#page=15