Ces plateformes connaissent un grand succès, surtout durant le confinement.Cependant les conditions de travail des coursiers laissent à désirer. Ces livreurs à vélo munis de leur sac isotherme cubique bien reconnaissable sont à tous les coins de rue de la capitale. Ils seraient aujourd’hui plusieurs centaines, essentiellement des hommes, à sillonner chaque jour les rues de Bruxelles pour distribuer les repas commandés et ainsi faire vivre les restaurants bruxellois et les plateformes qui organisent les livraisons.Une enquête de la RTBF, en mai dernier, montrait que la majorité des livreurs ne sont ni salariés ni indépendants. Ils travaillent sous le régime fiscal de l’économie de plateforme pensé uniquement pour les travailleurs qui arrondissent leurs fins de mois. Travailler pour les plateformes collaboratives n’ouvre aucun accès aux mécanismes de sécurité sociale ni de soins de santé.Légalement, sous ce régime, le nombre d’heures prestées est plafonné et les livreurs ne peuvent pas travailler toute l’année à temps plein, mais la réalité est toute autre. Poussés par la nécessité, de nombreux livreurs -d’UberEats et de Deliveroo, pour ne citer qu’eux-travaillent sous ce statut toute l’année via des systèmes de sous-location de comptes. Ces mécanismes rendent les conditions de ces travailleurs encore plus précaires, puisqu’ils ne bénéficient d’aucune couverture sociale et doivent en plus reverser une partie de leurs revenus aux propriétaires du compte qu’ils louent. Selon un article du journal Le Soir, il semblerait qu’à Bruxelles, une écrasante majorité des livreurs d’UberEats et de Deliveroo travaillent ainsi illégalement, et donc, osons le mot, dans de réelles conditions d’exploitation.
Disposons-nous de chiffres régionaux de l’emploi des plateformes collaboratives UberEats et Deliveroo? Votre cabinet suit-il les questions du travail pour ces plateformes et de la qualité de ces emplois? Quelle est votre position à cet égard? Avez-vous des pistes de solutions?
Sur le même sujet, un autre article du Soir, paru le 11 octobre dernier, interpellait à nouveau sur l’aggravation des conditions de travail et de rémunération des livreurs à vélo. Dans ce contexte, l’article soulignait que le profil des livreurs a évolué. Il ne s’agit plus d’étudiants en mal d’argent de poche, mais de travailleurs précaires qui, de par leur situation, n’ont pas accès à d’autres formes de travail. C’est le cas notamment de nombreuses personnes sans titre de séjour.La situation mise en lumière par la RTBF et Le Soir pointe encore une fois l’indéniable présence des travailleurs sans papiers dans l’activité économique de la Région bruxelloise. Nous ne disposons pas de chiffres précis, mais nous les savons très nombreux. Pour rappel, à la suite de la sixième réforme de l’État, la Région bruxelloise est devenue compétente en matière d’occupation des travailleurs étrangers et d’octroi des permis de travail A et B.Depuis cet été et la grève des personnes sans titre de séjour, qui occupaient notamment l’église du Béguinage, l’ULB et la VUB, la situation a-t-elle évolué? Je sais que la matière relève également du pouvoir fédéral, et que des discussions sont en cours pour que chacun -vous-même et le gouvernement fédéral-fasse sa part du travail.Pouvez-vous nous faire état des discussions avec vos homologues fédéraux concernant la mise en œuvre du permis unique? Avez-vous pu obtenir des garanties quant au volet emploi et accès au travail des personnes sans papiers sur notre territoire? Ce sujet, qui me préoccupe énormément, est directement lié à la question des livreurs à vélo, dont la plupart sont sans titre de séjour.
Voici la réponse que j’ai reçue :
M. Bernard Clerfayt : Ces plateformes sont une réalité et suscitent beaucoup de questions quant à la nature et à la qualité du travail, aux personnes qui y ont accès, aux conditions de travail et à la dangerosité de l’activité. Plusieurs études et reportages ont montré que les accidents de travail sont (trop) nombreux dans ce secteur.Je vous rappelle toutefois que la réglementation relative à ces plateformes relève du niveau fédéral. Il s’agit de la loi-programme du 1erjuillet 2016, appelée « loi De Croo », qui encadre le fonctionnement de celles-ci. Comme l’administration bruxelloise n’est pas chargée de ce dossier, je ne dispose pas des données, que nous aimerions détenir, portant sur le nombre de personnes employées par ces plateformes collaboratives et les horaires de travail. Ces informations nous permettraient pourtant d’avoir une vision plus claire du secteur.Certaines de ces plateformes fonctionnent quasi exclusivement avec des contrats de travail salariés, ce qui est déjà une évolution en soi, tandis que d’autres ne travaillent que via des prestations complémentaires et donc avec des personnes ayant un statut d’indépendant. La manière d’envisager les choses est donc différente tout comme l’est le cadre juridique qui l’entoure. Un litige opposant une plateforme à ses coursiers est en cours devant le tribunal du travail. Cette affaire pourrait constituer un moment charnière pour clarifier les relations de travail nouées au sein de ces plateformes.
La compétence de la Région bruxelloise en cette matière se limite aux règles relatives à la migration économique et au contrôle du respect de ces règles. Ainsi, les travailleurs extra-européens exerçant des prestations dans le cadre de ces plateformes doivent disposer soit d’un permis de travail dans le cadre d’une relation salariée, soit d’une carte professionnelle dans le cadre de prestations réalisées à titre d’indépendant.[195]Dans le cadre de mes compétences de migration économique, j’ai eu à me prononcer sur un cas de ce type en juin 2021. Une étudiante de nationalité extra-européenne sollicitait une carte professionnelle pour travailler sur une plateforme d’économie collaborative sous le statut d’indépendante. Cette demande ne s’inscrivait donc pas dans le cadre de la loi-programme De Croo de 2016 sur les mini-jobs, qui autorise des prestations de service à des conditions fiscales avantageuses.Je me suis notamment fondé sur la décision du 9mars 2018 de la Commission administrative de règlement de la relation de travail, qui estimait que les modalités de la relation de travail entre un livreur et la plateforme étaient incompatibles avec le statut d’indépendant. J’ai ainsi rejeté la demande de carte professionnelle. Dès l’instant où l’on juge ces conditions de travail mauvaises, il n’est pas logique de laisser s’installer quelqu’un sur le territoire bruxellois pour exercer ce type d’activité.Dans la sphère limitée de mes compétences, j’ai exprimé mes inquiétudes sur la précarisation des travailleurs à laquelle est susceptible de conduire le modèle économique de certaines de ces plateformes. J’ai aussi souligné ma volonté d’éviter toute forme de précarisation de l’emploi qu’implique la forme d’organisation du travail conçue et appliquée par certaines de ces plateformes, en m’appuyant notamment sur un avis du Conseil économique et social européen du 14décembre 2016.La direction de l’inspection régionale de l’emploi est l’organe compétent pour le contrôle des règles relatives à la migration économique. Elle a réalisé certains contrôles en collaboration avec la police et certains services d’inspection fédéraux. De nouveaux contrôles sont en préparation sous l’égide de l’auditorat du travail. En effet, les infractions aux conditions de travail ou de contrat, par exemple, relèvent principalement de l’inspection fédérale du travail. Elles sont ensuite soumises à l’auditorat.Il convient de rappeler que si une plateforme ou une personne sous-louant un compte à un travailleur sans papiers est reconnue par la justice comme l’employeur de ce dernier ou comme la personne l’ayant laissé travailler, elle encourt une amende allant jusqu’à 48.000 euros par travailleur, voire une peine de prison. Il s’agit en effet d’une forme de travail non déclaré. Sous-louer son compte, c’est exploiter une personne en situation de précarité dans sa relation contractuelle.Outre ces considérations théoriques sur les plateformes, j’ajouterai que sur la base de la loi fédérale actuelle, aucune régularisation par le travail n’est possible dans le cadre d’une demande de permis unique. Le processus de régularisation relève toujours du niveau fédéral aux termes de la loi de 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers. À titre personnel, je pense qu’il conviendrait de mieux encadrer les pratiques de ces plateformes et de procéder à une modification de la loi-programme du 1erjuillet 2016 précitée. Concernant le dossier du suivi de la grève des personnes sans papiers qui ont occupé l’église du Béguinage, je rappelle que ce dossier relève uniquement des compétences du gouvernement fédéral.Le permis unique est bel et bien en vigueur depuis le 24décembre 2018, mais l’accord de majorité fédéral reprend seulement la volonté d’initier des travaux avec les entités fédérées sur la modernisation des procédures de permis unique, mais semble-t-il pas sur le contenu des conditions d’admission au séjour, et ce dans les limites des compétences du gouvernement fédéral.Une conférence interministérielle s’est tenue sur la migration et l’intégration. Son premier groupe de travails’est réuni le 29octobre dernier. Un des deux thèmes de travail pour l’année à venir est l’activation et l’acquisition de compétences chez les nouveaux arrivants. Et à cette occasion, la Région bruxelloise, entre autres, a demandé que l’accès au permis unique à partir du séjour irrégulier soit discuté dans ce cadre.Cette demande n’a toutefois pas été retenue en raison de l’opposition de différents membres de la conférence interministérielle. Il n’était donc pas souhaitable de bloquer l’avancement des travaux sur cette question, puisqu’il n’y avait pas de consensus. Malgré notre tentative, nous ne trouvons pas de réponse à cette question auprès du gouvernement fédéral.
Le compte-rendu intégral de la commission est disponible ici : http://weblex.irisnet.be/data/crb/biq/2021-22/00035/images.pdf