Ce 25 janvier 2023, j’avais l’occasion d’interroger le Ministre bruxellois en charge de l’Emploi et de la Formation professionnelle. Il était important pour moi de l’interroger sur cette question des métiers en pénurie et/ou porteurs en Région bruxelloise. Plus de 113 métiers sont recensés en tant que telles, ces emplois représentent de véritables chances d’intégration durable sur le marché du travail. Or malgré cette pénurie, les employeurs éprouvent encore beaucoup de difficultés à récruter. Il nous faut apporter une réponse efficace tant aux demandeurs d’emplis qu’aux employeurs potentiels.


Ma question au Ministre : 

Les métiers de la construction sont confrontés à de nombreuses difficultés de recrutement. Comme vous le savez, Actiris publie annuellement une liste des fonctions critiques, reprenant les métiers en pénurie ou porteurs en Région bruxelloise. Cette année, les métiers de la construction font partie des 113 métiers répertoriés. Selon Actiris, si les employeurs éprouvent des difficultés à recruter dans le secteur de la construction, c’est pour des raisons d’ordre à la fois quantitatif et qualitatif. En effet, pour la majorité des métiers de la construction, il y a trop peu de candidats et ceux qui sont disponibles et prêts à travailler, ne disposent pas de la formation nécessaire et pertinente pour ces métiers. Il existe donc une forte demande pour la formation des demandeurs d’emploi. À l’occasion de la déclaration de politique générale, le gouvernement bruxellois s’était engagé à mettre en place un pôle formation-emploi, notamment dans le secteur de la construction. Nous saluons d’ailleurs la création de construcity.brussels, en 2021, qui répond à cet engagement dans une vision d’accompagnement et de formation des demandeurs d’emploi. Certes, les formations permettent de revitaliser les secteurs, mais surtout, elles augmentent les opportunités d’embauche. En 2021, Bruxelles Formation comptabilisait 476 demandeurs d’emploi qui suivaient une formation dans le secteur de la construction. Néanmoins, force est de constater que la réponse aux demandes de formation n’est pas satisfaisante. Le secteur de la construction recherche toujours de la main-d’œuvre dans plus de 24 métiers porteurs ou en pénurie. Nous devons impérativement rendre l’offre de formation plus attrayante. Actiris parle de fonctions critiques ou, parfois, de métiers en pénurie. Comment sont définies ces fonctions critiques ? Disposez-vous de chiffres relatifs aux formations pour les métiers de la construction déjà mises en place, ainsi qu’au nombre de demandeurs d’emploi qui les ont suivies ?

Sa réponse : 

La problématique des métiers en pénurie et en particulier des métiers de la construction ne date pas d’hier. Ce problème est présent tant en Wallonie, en Flandre que dans d’autres pays comme la France, les Pays-Bas, l’Angleterre, l’Allemagne, etc. Les causes en sont multifactorielles et ne sont pas spécifiques à la Région bruxelloise. Elles ont trait aux conditions salariales, fiscales, à l’organisation du travail, aux conventions collectives, à l’image des métiers, aux donneurs d’ordre, etc. Tous les instruments pour agir sur cette pénurie ne sont donc pas aux mains de la Région ou de la formation. En Région bruxelloise, nous avons mis en place une nouvelle structure innovante qui réunit les acteurs publics de l’emploi et de la formation professionnelle et les acteurs professionnels du secteur privé. Nous avons créé un pôle formation-emploi, une asbl, une structure juridique, ainsi qu’un site internet construcity.brussels qui donne nombre d’informations sur les métiers, à la fois sur la gestion des formations continues des travailleurs du secteur pour améliorer leur formation aux métiers nouveaux, aux compétences vertes qu’ils doivent acquérir pour mettre en œuvre le plan Rénolution, mais aussi sur les formations pour les chercheurs d’emploi ou les chercheurs de formation pour accéder aux métiers du secteur.

C’est une dynamique nouvelle, mise en place il y a quelques années, qui est en cours de déploiement. Elle fonctionne, même s’il est peut-être encore trop tôt pour l’évaluer globalement. Toutefois, nous croyons que c’est la meilleure manière de mettre ensemble les compétences de chacun. Les acteurs du secteur privé savent faire la veille sur les orientations qu’il faut donner aux métiers et les besoins quantitatifs et qualitatifs des travailleurs et des formations, et nous mettons à leur disposition les moyens financiers d’Actiris, de Bruxelles Formation et du VDAB, auxquels s’ajoutent les moyens financiers des fonds sectoriels de formations qui permettent de construire une offre de formations adaptée aux réalités.

J’en viens à votre question sur les fonctions critiques et les métiers en pénurie, des termes qui ne sont pas toujours utilisés de façon adéquate. Les fonctions critiques sont les métiers pour lesquels les employeurs et employeuses rencontrent des difficultés de recrutement. Ces difficultés sont catégorisées selon trois ordres, qui peuvent être cumulés. Ainsi, elles peuvent être d’ordre quantitatif (pas suffisamment de candidats ou candidates), qualitatif (un net décalage entre le profil des candidats et candidates et les attentes des employeurs, c’est d’ailleurs là qu’intervient la reconnaissance des diplômes) ou liées aux conditions de travail (manque d’attractivité des rémunérations, horaires de nuit, travail à l’extérieur, pénibilité du travail).

En bref, soit il n’y a pas suffisamment de candidats, soit les candidats que l’on trouve n’ont pas le profil ou n’acceptent pas les conditions qui leur sont proposées. Les métiers en pénurie sont les fonctions critiques qui le sont pour des raisons quantitatives. La détermination de la liste des fonctions critiques est le résultat d’une analyse des offres d’emploi – en matière de volume, de durée et de satisfaction – qu’Actiris reçoit et d’une consultation de terrain par les services d’Actiris. Je précise qu’Actiris ne dispose pas de l’ensemble des offres d’emploi qui s’organisent spontanément sur le marché. Actiris ne travaille qu’avec les offres d’emploi qui passent par son propre canal. Il va sans dire que si les employeurs ont du mal à recruter sur le marché en dehors d’Actiris, ils s’adressent à Actiris et on retrouve ces informations dans le flux pouvant être analysées par view.brussels. Actiris complète son information par une consultation des acteurs de terrain. Pour plus de détails sur cette méthodologie, je vous renvoie vers le site d’Actiris et les analyses réalisées par view.brussels.

J’en viens aux métiers en pénurie. Cette dénomination me paraît stigmatisante et je préfère parler de secteur qui recrute : un secteur qui recrute a envie de vous et de vos talents, il est prêt à vous accompagner dans l’acquisition des compétences et dans votre carrière. La construction est donc un des secteurs qui recrutent. Ne disposant pas encore des chiffres de 2022 sur les formations, je me réfère au rapport 2021 de Bruxelles Formation, selon lequel 476 chercheurs d’emploi ont été formés par le pilier formation de Construcity, qui réunit les forces vives dont j’ai parlé. Toutes les formations aux métiers de la construction de Bruxelles Formation s’inscrivent ainsi dans le pôle formation-emploi.

À ces 476 chercheurs d’emploi s’ajoutent des stagiaires formés chez les partenaires de Bruxelles Formation, soit un total, certes insuffisant pour combler les manques, de 813 chercheurs d’emploi formés et 278.970 heures de formation dispensées en centre de formation dans le domaine de la construction en 2021. Quant à d’éventuels dispositifs supplémentaires : des formations supplémentaires sont dispensées dans le cadre de la stratégie Rénolution. Bruxelles Environnement finance en effet construcity.brussels afin de renforcer son offre de formations et de l’adapter aux nouvelles orientations du secteur Rénolution. D’importants moyens issus du budget formation, d’Actiris et de Bruxelles Environnement sont donc alloués pour élargir l’offre de formations à construcity.brussels. En 2022 et 2023, nous avons alloué un budget supplémentaire à construcity.brussels pour améliorer la sélection des candidats aux formations, l’orientation vers ces métiers, la formation des chercheurs d’emploi intéressés par une carrière dans le secteur de la construction… Ce budget supplémentaire a aussi pour objectif de soutenir construcity.brussels dans la prospection en entreprises afin d’alimenter cette formation de stages en entreprise et en insertion, ainsi que dans l’élaboration, en collaboration avec les secteurs ou les professionnels, de parcours de formation sur mesure, adaptés aux besoins des entreprises.

[…]

La Région bruxelloise veille à accorder des moyens suffisants à ces actions, dans les limites de l’équilibre budgétaire régional qui sert d’autres politiques tout aussi souhaitables. J’en viens aux questions qui ne tombent pas dans le champ des compétences régionales. Des questions subsistent en effet au sujet des conditions de travail. À cet égard, le secteur ne met pas tant en avant les conditions de rémunération, un peu supérieures à la moyenne des métiers techniques, que d’autres éléments justifiant ce supplément de rémunération : la pénibilité, les horaires, les conditions de travail à l’extérieur.

Toutefois, il ne faut pas aggraver ces conditions, car un nombre croissant de métiers de la construction ont recours à la technologie. Oubliez l’image du maçon qui porte des briques sur l’épaule ou qui déplace des tas de sable à la main. C’était le cas il y a une trentaine d’années, mais maintenant, la technologie est aussi présente dans ce secteur et y réduit la pénibilité, beaucoup d’éléments étant notamment préparés en usine. Le travail est donc beaucoup plus technique, plus qualitatif et justifie dès lors de meilleures conditions de travail et une meilleure rémunération. Il convient ainsi de travailler sur l’image de ces métiers. Nous avons organisé des tables rondes sur les métiers en pénurie, dont les conclusions doivent être finalisées avec les secteurs. L’un des principaux aspects à retenir, a fortiori dans la construction, sera d’œuvrer à l’image et à l’attractivité du secteur, en montrant les emplois modernes qu’il propose. En effet, de belles carrières sont à faire, avec toutes les technologies qu’il déploie pour satisfaire aux exigences de Rénolution et à toutes nos ambitions de disposer d’un bâti plus technologique et de meilleure qualité.


J’ai pu remercier le Ministre pour sa réponse particulièrement complète. Je relevais cependant le fait que ce secteur n’est toujours pas assez attractif. Un dispositif inédit a été mis en place et c’est très bien, il nous faudra cependant l’évaluer. Aujourd’hui encore nous entendons des personnes nous rapporter la précarité de certains de ces métiers, les difficultés pour des employeurs a embaucher, même en ayant contacté Actiris ou Bruxelles Formation. Nous devons donc prendre la mesure de cette problématique et tenter d’y répondre le plus rapidement possible. Cette situation n’a que trop duré.